Eerin N. Numisen & Even N. Nygard
Je descends la rue d’un pas pressé et agacé, la tête, cachée par une capuche, baissée, les yeux fixant le sol. Rien de plus discret en temps de guerre et de soupçons général. Je crois que deux paires d’yeux se sont déjà retournés, je me sens constamment observée et cela m’étonnerait pas que dans les secondes qui suivent une main viennent m’attraper par l’épaule et qu’une voix autoritaire me dise de l’accompagner.
Les gens me gênent, la masse autour de moi est étouffante, je joue des coudes, parfois rudement, et me fraye un chemin parmi les badauds. Je sens que je vais exploser si je rente pas quelque part, que je ne bois pas quelque chose d’assez fort pour éteindre le feu de rage dans mon ventre. Je pousse la porte lourde d’une taverne, tout de suite les odeurs agressives d’alcool fort et de mauvaises cigarettes m’assaillent, et me rassure. Je suis dans mon élément, au chaud, bientôt une chope entre les mains, dans le coin d’une pièce, seule dans l’ombre.
Je prend la chope, et l’avale cul sec avant d’avoir rejoint la table que j’avais aperçue. Une descente plutôt bonne ce soir, au moins quelque chose de correct dans cette journée de merde. Je recommande une autre boisson. Autour de moi il n’y a que des soldats, des pauvres gars qui se sont retrouvés obligés à s’engager, croyant sûrement les vains discours prometteur de gloire et d’argent, à en juger l’état de leurs habits, l’argent et la gloire n’est pas encore au rendez vous pour eux.
Ils rigolent, chantent, et s’amuse grivoisement. Lance des blagues lourdes et rigole encore de leur rire tout aussi lourdingue.
Je n’aime pas les tavernes, mais j’aime l’alcool. Complexe dilemme hein ? Devoir se coltiner tout ces lourdaud, rien que pour assouvir son envie de degré étourdissants...
D’autant plus que cette taverne est au beau milieu de Telmar. Ville de mon désespoir et de ma rancœur. Qu’est ce qui m’a pris d’accepter cette mission, surtout qu’au final tout cela m’a servit à rien. Rien du tout ! J’ai dû affronter la vision de cette muraille détestée, des maisons pitoyablement pauvres et délabrées et des rues sales, me ravivant souvenirs sur souvenirs, pour...pour rien. Un frisson de colère me traverse, je serre ma main sur la poignée de la chope.
Telmar est toujours égale à elle-même après toutes ces années, toujours pauvre, sombre et repoussante. Je suis venue, à contrecœur, chercher des informations sur l’armée et les différentes actions qu’ils pourraient envisager contre Narnia. Une mission classique, la plupart des espions de basse catégorie le font. Et la plupart de ces espions arrivent à soutirer quelque chose, et moi ? Rien...
Je dois traverser encore un banc de testostérone mal dissimulée avant de pouvoir rejoindre ma table, je me fais discrète et pose enfin mes fesses sur le dur banc de bois. Il fait presque nuit, les heures dangereuses approche à grand pas, je ne devrais pas rester ici, la raison me ferait partir d’ici et de sortir de Telmar au plus vite. Seulement la raison m’est un peu étrangère avec deux chopes d’alcool dans le ventre.
Je regarde mes poches, il me reste assez pour une quatrième chope. Je me lève et me fraye une nouvelle fois entre les colosses sûrement autant, voire plus, alcoolisés que moi. Je sens déjà que ma tête tourne un peu, je pose ma main sur le comptoir pour garder mon équilibre tout en essayant de rester digne. Une femme dans un bar, même totalement soûl, se doit de rester plus digne que ces mâles supportant mal l’alcool.
Je tends les pièces au tenancier, ce dernier les considèrent quelques secondes puis les refusent d’un geste froid sans rien dire de plus.
-Pourquoi tu refuses !? Je demande, agacée.
-Il y a pas assez. Il répond, toujours aussi glacial.
-J’ai compté, et j’avais tout ! Alors tu me sers.-Non.Je ne suis pas d’un naturel très patient, mais avec les quelques petits grammes d’alcool qui commence à faire effet, je le suis encore moins. Je me redresse, incertaine sur mon équilibre, et m’approche du tenancier en lui disant, menaçante au possible :
-J’ai passé une très, très mauvaise journée, alors prend ce que je te donne, et pour une malheureuse pièce manquante tu pourrais faire une offre non ? Sinon tu risques de faire les frais de ma mauvaise humeur.
N’ai-je pas l’air crédible ? Oui je ne risque pas de lui faire grand mal, frêle comme je suis, mais j’ai un poignard à la ceinture et cela risque de causer quelques dégâts si je l’utilise. J’entends soudain un ricanement à côté de moi, c’est un homme plutôt bien bâti, les cheveux longs, l’air fatigués, une chope d’alcool devant lui. Je tourne la tête vers lui, vexée par son rire et l’interpelle :
-Qu’est ce qui te fait rire toi ?